De la naissance à un an et demi, période infra-verbale, la séparation du corps maternel est profondément liée à une notion de vie et de mort.
Pour l’enfant, cette période est imprégnée d’une mémoire d’oralité fœtale et aussi de sa mémoire du vécu affectif et nourricier dès ses premières heures de vie.
Tout bébé, l’enfant est encore en lien émotionnel très fort avec sa mère.
Nous savons maintenant que dès le quatrième mois de gestation, les cerveaux limbiques de la mère et du fœtus, responsables de nos mémoires émotionnelles, sont en lien d’ellipse. Il permet à l’un et à l’autre de se sentir et de se comprendre à travers un langage inconscient.
Cette faculté de « transmission de pensée » va durer environ 5 ans après la naissance, l’arrêt de ces messages affectifs fusionnels dépendra de la capacité qu’aura la mère à distancier et à gérer sa sensibilité et ses propres peurs, mais aussi du rôle du papa dans la triangulation « père/mère/enfant » et de la sécurité qu’il donnera à l’enfant comme à la mère. Cette place de sécurité paternelle est souvent difficile dans notre mutation sociale et ce schéma père/mère/enfant vole en éclats en cas de séparation parentale précoce.
Nous vivons un réel appauvrissement de la vie familiale par le manque de temps AVEC nos enfants.
L’aventure humaine que représente l’arrivée et l’accompagnement d’un enfant, avec le « penser ensemble » parental que cela exige, est un vrai défi de nos jours.
Les acquis d’autonomie de l’enfant sont très réduits dans cette société : nourriture buvable, rapide, peu de mastication , vêtements et changes fait par l’adulte pressé.
Le bébé a besoin de sucer, il a appris in-utéro durant plus de trois mois à exercer cette pression et aspiration avec les lèvres et la langue pour avaler du liquide amniotique et exercer ses voies endobuccales. Par cette action, c’est lui qui permet à la mère la régénération du liquide amniotique. Son cerveau de petit humain a associé très vite à cette action de succion, une nécessité de survie et un sentiment de sécurité.
Les ostéopathes constatent l’importance de la succion quasi-permanente du nouveau-né, succion qui va lui permettre de mobiliser les os du crâne et, par ce mouvement, de continuer la construction de ses connections neuronales.
A cet âge et jusqu’à un an, pouce, biberon et tétine sont nécessaires au bon développement physiologique et affectif de l’enfant.
Mais il faut savoir que la succion non nutritive n’est pas une réponse au réel besoin de l’enfant mais souvent le remplacement par un « objet/bouchon » de la relation d’intense proximité qu’il exige mais souvent trop impliquante pour l’adulte.
Le soin des parents, cet accompagnement avec consolidation verbale, par le toucher et par le jeu, amène le bébé à la découverte de SOI et de SES propres compétences physiques et émotionnelles rassurantes.
L’enfant ne grandit que dans une expérience d’altérité et d’un MOI DIADIQUE. La sucette ne peut remplacer la diade mère/enfant. Elle peut parfois même l’empêcher si elle est trop présente.
Entre zéro et un an et demi, l’enfant apprend et fait la « saisie » de ce que c’est que « l’attention conjointe », c’est à dire le partage affectif, physique et verbal avec l’autre et il apprend, dès 8 mois, que l’autre, en face de lui, a un état affectif aussi.
Si ces « accordages affectifs » nécessaires et vitaux, ne sont pas saisis par le cerveau du bébé, il n’y a pas de « rencontre», ni avec l’autre, ni avec lui même.
Il faut savoir que le bébé, jusqu’à 15 mois environ, n’a pas encore de réalité physique (image du corps) : sa vie psychique se fonde et se construit par sa représentation et sa perception visuelle puis tactile.
C’est ce mouvement dans le réel, sans cesse en création et en écho avec l’autre, qui fonde toutes ses mémoires.
La sucette est un véritable morceau de maman, objet malléable, l’enfant petit ne suce jamais un objet rigide. La mère est la seule à pouvoir apprendre à son enfant ce passage si difficile à la distance des corps.
La sucette devrait dès lors n’être qu’un objet « transitoire », permettant à l’enfant de vivre des alternances satisfaisantes de rapprochement et de distanciation avec sa mère, son père, sa maison, sa crèche. Malheureusement elle devient un objet «vital/social» (surtout pour les parents…) incitant l’enfant à une succion permanente.
En revanche, la souplesse du doudou, DONT L’ENFANT PEUT REMPLIR SA MAIN, rappelle la douceur du corps maternel, giron respirant et mouvant. Il peut en faire un véritable transfert affectif à long terme.
Pour la sucette dont l’enfant peut remplir sa bouche, il n’y a aucun transfert affectif possible, mais ce qui est positif à cet âge dans la succion non nutritive, c’est que la malléabilité de la sucette, outre le fait de remplacer le sein ou le biberon nourricier, permet des IMPRESSIONS SENSATIONS, véritable marquage cérébral, qui sont transmises à toutes les mémoires psychiques et corporelles du bébé.
L’enfant peut laisser son odeur et son empreinte sur le malléable et avoir l’illusion d’une fusion totale avec l’objet, à cet âge, se remplir de l’autre, le tenir dans ses mains et sa bouche, n’est qu’une expérience/souvenir intra-utérin de bonheur.
L’activité de succion représente souvenirs et plaisirs intérieurs, activité de mémoire de sécurité, pulsion de vie et de bouche, stimulation crânienne et neuronale par la sensorialité liée au plaisir buccal et endo-buccal. A cet âge, la succion n’est donc pas un problème : c’est une confirmation de sécurité.
ATTENTION :
Après un an et demi, cet objet malléable de succion reste inanimé, il ne confronte pas l’enfant à la question de la réciprocité et de l’engagement relationnel avec l’autre. Cet autre, père, mère, est encore vu comme un objet et non comme une personne.
L’autorité et les besoins de dépendance de l’enfant, vont augmenter avec le temps, car grandir est une permanente prise de conscience et de possibles angoisses.
A cet âge, la succion non nutritive doit commencer à être surveillée, car l’enfant qui commence à ramper ou a marcher DOIT aller vers l’autre SEUL,
sans dépendance à un objet de réconfort accompagnant.
Ce que le bébé éprouve à un an se transforme en expérience, comme plus petit, mais aussi en « connu » et ensuite en « paix » et ce travail psychique DOIT se faire AVANT que la mère ne soit perçue comme autre.
L’enfant doit apprendre le lien à distance et à aller lui même vers le partenaire de jeu ou d’affect. Pour cela nous devons apprendre à nos enfants le VIDE et non le PLEIN perpétuel et illusoire. Bouche comme main de l’enfant doivent absolument être alternativement pleines et vides. (bien sûr, pas deux tétines ; pas deux gâteaux !)